L'immense controverse autour d'Assassin's Creed Shadows, Yasuke et Ubisoft expliquée

La controverse autour du personnage Yasuke du nouvel Assassin's Creed expliquée en détails – avec sources.

Photo du personnage Yasuke d'Assassin's Creed Shadows, sur fond rouge avec inscription « Très bien reçu ! », le logo d'Ubiso

Les jeux Assassins Creed, connus pour être fortement inspirés d'évènements historiques, sont toujours très attendus par les gamers. Le nouveau jeu de la franchise, Assassin's Creed: Shadows, n'a pas fait exception. Cependant, une polémique a pris forme depuis la sortie du premier trailer du jeu.

La vidéo publiée par la chaîne YouTube d'Ubisoft a été dislikée en masse, et ce, pour plusieurs raisons. Les jours qui s'en suivirent ont vu les gamers – les fans de la franchise, mais surtout les joueurs japonais – formuler contre Ubisoft toutes sortes d'accusations, allant jusqu'à parler d'« invasion culturelle ». Ce sont ces critiques que nous allons décortiquer dans cet article.

L'Assassin's Creed de toutes les controverses

Avec une franchise comme Assassin's Creed et un jeu qui doit se dérouler au Japon féodal, les gamers ont beaucoup d'attentes. Certains souhaitent un jeu avec beaucoup d'immersion dans cette période ; Ubisoft les ayant habitués à des jeux avec beaucoup de précision historique.

Mais les fans et autres commentateurs ont très vite déchanté lorsqu'ils ont vu le premier trailer publié le 15 mai 2024. Le choix des protagonistes, une shinobi et un samouraï, reste la plus grande critique contre ce jeu à l'heure qu'il est. En effet, Ubisoft a choisi de mettre en avant un personnage africain arrivé esclave au Japon.

Ce personnage est ainsi décrit par Ubisoft sur son site : « Les joueurs incarneront […] pour la première fois dans la série un samouraï historique : Yasuke »[1]. L'identité et le titre de ce Yasuke s'ajoutent alors aux autres controverses : est-ce vraiment un personnage historique ? Yasuke était-il un samouraï ?

Horrible réception pour le nouveau Assassin's Creed d'Ubisoft

Malgré cela, pour Ubisoft, la réception du jeu est une réussite. « Assassin's Creed: Shadows a non seulement été acclamé par les joueurs et les critiques, mais a également mis en évidence les capacités de pointe de nos moteurs de jeu », avait déclaré le studio dans son rapport sur son chiffre d'affaires pour le premier trimestre 2024-2025[2],[3].

Mais Ubisoft ne fait ici que rassurer ses investisseurs, à qui ils n'ont d'ailleurs pas révélé le nombre de précommandes du jeu. « Nos deux grands titres (Assassin's Creed: Shadows et Star Wars: Outlaws) figurent, en effet, parmi les jeux les plus attendus de l'industrie et jouissent d'un très fort sentiment positif de la part de la communauté dans son ensemble », avait affirmé le représentant d'Ubisoft qui balbutiait et cherchait ses mots.

Un rapide coup d'œil au premier trailer du jeu nous permet de dresser un constat très clair : beaucoup de haine et de colère entourent Assassin's Creed: Shadows. Au moins 780'000 dislikes sur la chaîne YouTube d'Ubisoft, et trois fois moins de likes.

Capture d'écran de la vidéo YouTube du trailer d'Assassin's Creed: Shadows sur YouTube, avec 778000 dislikes et 292000 likes.

Même schéma sur les chaînes comme IGN qui ont publié la vidéo. Et pire encore : toutes les vidéos publiées par Ubisoft ont eu droit au même traitement. L'annonce du jeu a aussi déclenché une avalanche de critiques sur les réseaux sociaux ; surtout sur X/Twitter. Alors non, la réception du jeu n'a pas été grandiose. Loin de là.

Samuraï africain : les raisons derrière le choix d'Ubisoft

Le fait qu'Ubisoft présente un Africain comme samouraï dans un jeu dédié au Japon féodal a donné lieu à des accusations de révisionnisme historique. Les critiques affirment que l'inclusion de Yasuke est motivée par l'importance accordée aujourd'hui au politiquement correct.

Ce sont donc les raisons qui ont poussé Ubisoft à choisir Yasuke comme protagoniste de son nouveau jeu qui sont pointées du doigt. Pour beaucoup de joueurs et beaucoup de commentateurs, Ubisoft aurait agi pour le DEI (diversité, l'équité et l'inclusion) ; une façon pour l'entreprise française de cocher des cases et de « bien se faire voir », mais surtout une pratique très répandue de nos jours et dont les gamers se plaignent et se lassent de plus en plus.

Dans ce cas précis, les fans de la série Assassin's Creed ont été habitués à incarner des personnages « locaux », des personnages qui n'ont pas d'existence réelle et qui offrent une grande liberté créatives au développeur au point de pouvoir leur faire côtoyer les grandes figures sans trop influencer le cours de l'histoire.

Tableau des jeux Assassin's Creed, des régions où ils se déroulent, des personnages des jeux et de l'origine de ces personnages.
Personnages des jeux Assassin's Creed et leurs origines.

Le personnage de Yasuke dérange

C'est ensuite l'authenticité historique de Yasuke qui a soulevé un débat. L'élan de critiques débordant autour d'AC Shadows a mené certains à nier l'existence de Yasuke et à reprocher à Ubisoft d'avoir inventé un personnage racisé pour servir un agenda social. Mais cet argument a vite été balayé.

En effet, Yasuke a réellement existé[4]. Cet Africain, originaire du Mozambique, était un esclave amené par les missionnaires jésuites jusqu'au Japon. Un important chef de guerre japonais, Oda Nobunaga, l'a alors trouvé fascinant et en a fait son serviteur. À la mort de ce dernier, Yasuke a été épargné et renvoyé chez les jésuites.

Alors que la « certitude » historique s'arrête ici, la polémique autour de Yasuke continue. Car si Yasuke a effectivement « existé » et s'est trouvé au Japon, il n'y a aucune preuve historique de son titre de samouraï.

En occident, cet intérêt pour Yasuke est très récent. Dans les années 2000 et jusqu'en 2015, des mangas le mettant en scène ont été créés. Netflix en a même fait une série fantastique, avec un Yasuke qui se bat contre des robots et des sorciers. Une série qui a vite fait un flop.

Après l'annonce du jeu par Ubisoft, les médias ont aussi présenté Yasuke comme samouraï. Dans un article publié le 15 mai, date de sortie du premier trailer d'Assassin's Creed Shadows, le média français Le Monde titre : « Assassin’s Creed Shadows » : Ubisoft mise sur Yasuke, premier samouraï noir du Japon, pour son nouvel opus.

Yasuke était-il un samouraï ?

Lorsqu'on va sur la page Wikipédia dédiée à Yasuke, le terme samouraï utilisé pour le qualifier est au centre de discussions très animées[5]. Beaucoup de contributeurs estiment qu'il n'est pas samouraï, alors que d'autres citent des sources qui font référence à Yasuke en tant que samouraï.

Parmi ces sources, l'on retrouve le travail de Thomas Lockley, professeur à l'université de Nihon au Japon, qui a écrit un livre portant le titre « African Samurai: The True Story of Yasuke, a Legendary Black Warrior in Feudal Japan », qu'on peut traduire par : « Samouraï africain : la vraie histoire de Yasuke, un guerrier légendaire noir dans le Japon féodal ». Le livre, bien qu'intégrant certaines parties ouvertement fictives (assumées par l'auteur), est considéré comme la principale source sur la vie de Yasuke au Japon.

Mais voilà, une enquête du Nippon Journal, qui a sollicité des historiens, a révélé que l'auteur du livre modifiait lui-même les faits concernant Yasuke sur Wikipédia, et cela depuis 2015[6]. Lockley aurait agi ainsi pour promouvoir son propre ouvrage qui a été publié en 2019.

Cette découverte remet en question tout le contenu d'African Samurai et toutes les publications qui se sont basées sur les travaux de ce professeur. À la suite de cette polémique, des rumeurs ont circulé sur le fait que l'université japonaise aurait licencié Thomas Lockley et commencé à enquêter sur la véracité de son livre[6].

Bien qu'il ne soit pas certain que Lockley soit directement impliqué dans le développement d'AC: Shadows, son apparition dans le podcast Echoes of History d'Ubisoft[7] suggère que sa représentation de Yasuke a fortement influencé le développement du jeu.

Ce que l'on sait vraiment de Yasuke

Au japon, il n'existe que trois sources primaires sur Yasuke, chacune comportant que quelques lignes.

Dans une traduction du rapport annuel des Jésuites du Japon (Iezusukai Nihon NIppō)[4] on peut lire :

Le Père était accompagné d'un esclave noir, que l'on voyait pour la première fois dans la capitale, et tout le monde était étonné. D'innombrables personnes sont venues le voir. Nobunaga lui-même fut surpris de le voir et eut du mal à croire qu'il était naturellement noir et non peint à l'encre noire. Il l'observait fréquemment et, comme l'esclave noir comprenait un peu de japonais, Nobunaga ne se lassait pas de lui parler. De plus, comme l'homme était fort et capable d'exécuter quelques tours, Nobunaga était très satisfait et l'a pris sous sa protection, lui assignant un serviteur pour l'accompagner dans la ville. Certains disaient même que Nobunaga pourrait en faire un Tono (seigneur).
Après la mort de Nobunaga, l'esclave noir qui avait été présenté à Nobunaga par le visiteur se rendit à la résidence de l'héritier de Nobunaga. Il se battit longtemps jusqu'à ce qu'un des serviteurs d'Akechi s'approche de lui et lui dise de remettre son épée sans crainte. Il a alors remis son épée. Un serviteur a demandé à Akechi comment traiter l'esclave noir. Akechi a ordonné que l'esclave noir ne soit pas tué parce qu'il était un animal, qu'il ne savait rien et qu'il n'était pas japonais, et qu'il soit placé dans l'église des prêtres de l'Inde. Cela nous a soulagés.

Les incohérences culturelles d'Assassin's Creed Shadows

Au-delà de la controverse que cause le personnage de Yasuke, plusieurs autres aspects du jeu, révélés par la bande d'annonce, ont dérangé les Japonais, qui sont très attachés à leur culture et à leurs traditions. La forme des tatamis, par exemple, n'était pas correcte et la disposition des personnages dans la scène ne l'était pas non plus.

Les gamers ont aussi relevé certains détails comme la musique utilisé dans les combats : du hip hop pour accompagner le personnage africain. « J'ai regardé le gameplay de Shadows et bien qu'il soit assez prometteur, j'ai été vraiment déçu par la musique jouée pendant les segments de combat de Yasuke. On dirait de la musique japonaise avec un filtre hip hop, est-ce que ça dérange quelqu'un d'autre ? » explique un internaute sur Reddit.

À la suite des critiques ayant inondé les réseaux sociaux japonais, Charles Benoit, directeur du jeu, a déclaré au média japonais Game Watch : « en ce qui concerne les tatamis, je pense qu'ils sont corrects dans le jeu actuel », ajoutant « nous essayons toujours de corriger les erreurs autant que possible »[8],[9]

Ubisoft Japon s'est aussi excusé d'avoir utilisé sans autorisation le drapeau d'un groupe japonais de reconstitution historique dans le concept art d'Assassin's Creed Shadows[10]. La compagnie a confirmé qu'à l'exception du drapeau figurant dans le livre illustré de l'édition collector du jeu le dit drapeau ne sera plus utilisé à l'avenir.

Le katana de One Piece dans Assassin's Creed ?

Ce ne sont pas les seules bourdes d'Ubisoft. Lors d'un popup organisé à la Japan Expo en France, divers objets d'Assassin's Creed Shadows étaient présentés, dont le masque de Yasuke et son épée. C'est là que les internautes ont remarqué que cette épée ressemblait trop à celle du personnage Zoro de One Piece. Les Kanji dessinés sur le socle qu'Ubisoft utilise sont les mêmes caractères que ceux qu'on peut trouver sur le socle de l'épée de Zoro.

Ubisoft entre regrets et langue de bois

Après plus d'un mois de polémique, de controverse et de commentaires sur internet, Ubisoft a brisé le silence et a décidé de « communiquer ». À travers 4 images publiées sur son compte X, la compagnie a adressé un message à son public japonais.

« Depuis l'annonce d'Assassin's Creed: Shadows, nous avons reçu de nombreuses réactions positives, mais aussi quelques critiques, notamment de la part de nos joueurs japonais », déclare Ubisoft dans un effort de nuancer la mauvaise réception du jeu de la part des gamers, illustré par les forts taux de dislikes sur toutes les vidéos impliquant ce jeu, mais aussi une avalanche de critiques négatives de la part des commentateurs du milieu.

« Assassin's Creed: Shadows est avant tout un jeu vidéo divertissant qui raconte une fiction historique passionnante se déroulant dans le Japon féodal », nuancera encore l'entreprise française.

Malheureusement pour Ubisoft, peu après ces « excuses » peu assumées, beaucoup de commentateurs ont souligné que lors de son interview de lancement, Ubisoft avait largement joué sur l'authenticité historique de ses jeux AC en général[11], alors que dans leur message d'excuses au public japonais, ils ont minimisé le côté historique, en affirmant que leurs intentions n'ont jamais été de présenter quelconque AC comme une représentation factuelle de l'histoire ou des personnages historiques.

Une tentative maladroite emplie de langue de bois qui n'a pas suffit à calmer les esprits, mais a donné du grain à moudre aux détracteurs du studio.


  1. Jesuit Japan Annual Report (Iezusukai Nihon NIppō), 22 mai 2024, Japanese with Naoto
  2. Discussion:Yasuke, Consultée le 25 juillet 2024, Wikipédia
  3. [audio] Yasuke: The First African Samurai, 27 mai 2024, Echoes of History, Acast